UNE HISTOIRE DE JOLY

          UNE HISTOIRE DE JOLY

AVANT PROPOS
Tout est vrai dans le récit qui suit, ou presque. Je n’ai imaginé que les mises en scène : l’habillement, les dialogues, qui m’ont paru  vraisemblables. J’ai pris mes sources dans les registres d’état civil  et registres paroissiaux, listes nominatives, recensements, répartition de l’impôt, actes notariés, bibliographie de Pierre Nicollon, archives départementales de Fontenay le Comte, délibérations du conseil municipal de la Roche sur Yon, dossier d’attribution de pensions. C’est l’histoire de deux familles de notables – chirurgien et notaire – de Beaulieu sous la Roche, aux destins tragiques.  C’est l’histoire d’un fermier de Bourchollet de Landeronde qui exerça des fonctions importantes dans la commune. C’est l’histoire d’un Joly fils du fermier de Landeronde qui épousa une Jolly, fille du notaire de Beaulieu, et qui fut un valeureux combattant des guerres de Vendée….







Photo église St Jean-Baptiste - Beaulieu-sous-la-Roche






LOUISE MAGDELAINE JOLLY

1740 – 1782

Le 26/06/1752

                Louise Magdelaine  n’a que 12 ans quand elle assiste pour la première fois à un mariage, celui de Jeanne Berthomé et Jean Thibaudeau, comme « damoiselle ». En compagnie de son père, Maître Louis Jolly, notaire, et de son petit frère, Louis Calixte, âgé de 9 ans. Sa petite sœur, Marie Jeanne, 7 ans, n’est pas de la fête. Elle a revêtu sa nouvelle robe rose bonbon à larges pans qui traînent sur le sol et lui serre la taille, et met en valeur sa poitrine naissante. Elle est bien jolie, la jeune Louise, la fierté de son père et de son oncle René, quand ils montent les marches de l’Eglise de Beaulieu sous la Roche.

                Cela fait juste 3 ans que sa mère Louise Duret s’en est allée.  Son père ne s’en remet pas. Il n’a que 50 ans, mais il parait toujours fatigué. Pourtant tout lui souriait il y a 13 ans en 1739, quand son ami Pierre Corbé et lui épousèrent les sœurs Duret Louise et Jeanne. Ils avaient acheté une charge de notaire et avaient fait de beaux mariages. Ils étaient entrés dans le cercle très fermé des notables de Beaulieu, des grands bourgeois, côtoyant les de Rorthays de la Rochette, les Buor, le procureur fiscal Pyneau de la Malvoisine, les Pelletier Déplante, etc. Ils possédaient des terres, des fermes, avaient des domestiques. De .par leur profession, ils étaient présents aux principaux actes de la vie des riches comme des plus humbles – mariages et baptêmes.

                Les sœurs de l'Union chrétienne des Sables d'Olonnes lui ont enseigné l’écriture, le calcul, les bonnes manières, la Foi en Dieu et l’Eglise catholique et romaine.  C’est, de sa belle écriture, grande et détachée qu’elle va signer « Louise Magdelaine Jolly ».

 


13/01/1761

                Les années ont passé. Louise Magdelaine est devenue une belle jeune « Damoiselle ». Son père est mort, il y a 9 ans, mais son oncle René et son curateur Maître Pierre Taugeron se sont bien occupés d’elle, de son  frère et de sa sœur. René  a repris la charge de notaire de son père. Il a envoyé Louis Calixte poursuivre des études de droit pour prendre sa suite.

                C’est le jour de son mariage avec  Pierre Aimé Epaud.  Elle attire tous les regards, dans sa large robe argentée tachetée de touches d’écru, ses épaules dégagées, son visage resplendissant de vie, œil vif et pommettes rouges, quand elle remonte l’allée centrale de l’Eglise au bras de son curateur Pierre Taugeron. Pierre Aimé suit, juste au corps, longue veste de lumière, chausses, jabot et perruque blanche.

                Pierre Aimé, 26 ans est le fils du marchand Mathurin Epaud, conseiller municipal. Enfance studieuse. A 14 ans, il signe au mariage de Me Philippe Moreau, huissier, un tourangeau et Marguerite Birotheau. Il vient de terminer 3 années d'études à l'Ecole de Chirurgie, à Paris. Reconnu par ses pairs, il est assermenté et peut afficher le titre de chirurgien juré.  Louise Magdelaine a visé juste: épouser un chirurgien, comme son oncle Pierre Jolly, sieur de la Boucherie de Sainte Flaive des loups, elle en rêvait.

                Joli mariage, plein de promesses, dans ce bourg rural de 1300 âmes.





28 et 29/01/1766

                Le petit frère de Louise Magdelaine, Louis Calixte.

 A 23 ans, il termine ses études de droit, comme clerc dans une étude et s’apprête à reprendre l’étude de notaire de son père. Le 29 janvier 1766, il épouse Marie Jeanne Martineau, fille de Jean Martineau, huissier royal. Encore un joli mariage et un avenir radieux.

                La petite sœur Marie Jeanne .La veille, à 21 ans, elle épouse Maître Jean Guiochet, le 28 janvier 1766.

1761 – 1784

                Louis Calixte Jolly est le Sieur de la Boucherie, un village de Beaulieu sous la Roche, et notaire de la châtellenie de Bois-Boucher dont le Seigneur est "Marie-Henriette de Morais dame de La Boscherie  (Beaulieu-sous La-Roche, 85)". 

                Marie Jeanne s’occupe des enfants. Entre 1767 et 1784, naîtront 11 enfants. 7 survivront. Aucune année de répit pour Marie Jeanne.

                Marie Jeanne est une femme effacée. On ne la voit guère  dans les manifestations publiques. Ce n'est pas le cas de sa belle sœur, Louise Magdelaine.

                    

le village de la Boucherie aujourd'hui
Restes de l'ancien château

    Car Louise Magdelaine, on la voit partout.  Elle est marraine de plusieurs enfants, elle assiste à de nombreux mariages et baptêmes. A chaque fois, sa signature s'étale sur le registre du Sieur Curé Caillon  de Beaulieu, aux cotés de son mari, Pierre Aimé Epaud. Et ce depuis son premier mariage en 1757 jusqu'à  sa fin en 1784. Et souvent accompagnée des grands : François Pyneau de la Nicollière, procureur fiscal,- représentant de la justice seigneuriale : châtellenies de Beaulieu et Ste Flaive - un homme puissant, signant d'une grande écriture  régulière  et autoritaire qui se termine bizarrement par une toile d'araignée, Yves Calixte de Rorthais, noble chevalier écuyer du roi,  Pelletier, médecin ami de Pierre Aimé Epaud, Pierre Alexandre Lansier "fermier" du château de la Gussière, etc. C'est une femme très connue, une notable. En fait, il semble qu'elle soit la " représentante" de son frère Louis Calixte, le notaire qui se doit d'être présent aux principaux actes de la vie de chacun.

1770, un baptême dans la famille Pyneau de la Nicollière

                Tout va bien, pour Louise Magdelaine. Et pourtant...

                Durant la période 1761 - 1782, elle eut 4 enfants morts à la naissance. Et on ne compte pas le nombre de fausses couches et enfants morts nés. Enfin, naquit Marie Magdelaine en 1775, et  Claire Éléonore en 1782 qui décédera en 1783 chez sa nourrice de Ste Flaive.

           Le 2 septembre 1782, Pierre Aimé meurt subitement. Pourtant, un an auparavant, le 27 septembre 1781, il était parrain du fils du notaire royal Joseph Giraudin, au coté des de Rorthays et Nicollon.

                Le 17, soit 15 jours après c'est le tour de Louise Magdelaine.

                Ils avaient  56 et 42 ans.

                Le 09 juillet 1784, 2 ans plus tard, Louis Calixte meurt subitement.

                Le même jour naissait le dernier né, Pierre.

                Le 11, soit 2 jours plus tard, c'est le tour de Marie Jeanne.

           Ils avaient  41 et 37 ans. Ils laissent de nombreux enfants orphelins. Louis, Laurent, Marie Véronique, Pierre Aimé..... Et une certaine  Victoire Marie Désirée Jolly.



 JACQUES LOUIS JOLY                

1738 - 1795                                                                                            

 Le 23/12/1771 Bourchollet Landeronde        

                                                                                                                                                                                             C'est un gros village, à quelques encablures de la route La Roche sur Yon - Les Sables d'olonne. Les maisons se serrent les unes contre les autres, formant des ruelles  où il fleure bon le foin et les vaches. Il fait froid en ce matin de décembre 1771. Jacques Louis  Joly se prépare: il a rendez vous avec  Jean François Nicollon de l'Aumondière. Il embrasse sa femme, Marguerite, toute ronde qui lui dit avec son sourire malicieux :"Je crois que c'est pour ce soir". Il sort, scelle son cheval et part sur le chemin des pommiers qui le conduit à la Rochette-Milsens, distant de moins d'un kilomètre. La grande maison, la Rochette ou petit château, comme on dit,  se détache au bout du chemin, dans la grisaille du matin, les grandes fenêtres restent noires, tout comme le toit d'ardoises. Mais les cheminées fument."l fait toujours chaud dans cette maison», pense  Jacques Louis.         

source :Thierry Nicollon des Abbayes



                Jacques Louis Joly est né le 12 février 1738 de Jacques Jolly et de Louise Joslain, à Bourchollet. Sa famille est là depuis des générations. Jacques Louis exploite une ferme de quelques vingt hectares. sur les terres  des Nicollon.  Il a de nombreuses vaches et emploie domestiques et journaliers.  Jacques Louis a été marié à Marie Jeanne Epaud, la sœur de Pierre Aimé, chirurgien juré de Beaulieu. Mais Marie Jeanne mourut en 1766 à l'âge de 20 ans et lui a laissé Louise Rose. Il se remaria avec Marguerite Mornet en 1768. Ses relations, son premier mariage dans  la famille Epaud, mais surtout, ses capacités personnelles ont fait de lui une figure reconnue à Landeronde.  Il  a fait quelques études et savait compter .On l'appelait "Maitre". Il est  devenu  le "fabriqueur " de la paroisse  Saint Georges, le gestionnaire laïc  de l'église, auprès du curé Voisin. (Voir sur Wikipedia: conseil de fabrique ) Il exerça la charge de "sindic" à Landeronde,  responsable de la répartition de l'impôt en fonction des terres exploitées. Un homme influent, cultivé,  un "maître" le bras droit de Jean François Nicollon de L'Aumondière, le troisième de la paroisse: le seigneur, le curé, membres de droit, le "sindic" nommé, ensuite 3 autres membres. Il avait 33 ans.


                Il connaissait les Jolly de Beaulieu, notaires de la Boucherie. Ils n'étaient  pas de la même parenté.  .

                Jean François Nicollon de l'Aumondière doit avoir près de 60 ans. Il possède des bateaux aux Sables d'Olonne. Il vit désormais de ses rentes avec sa femme Henriette des Abbayes et ses 5 enfants, dans cette grande maison de la Rochette. Homme cultivé, licencié es "loix", un peu hautain, disait-on, il a été aussi le maire de Landeronde. "Noble homme" lisait-on sur les documents officiels. Voir à ce sujet l'excellent blog de Thierry Nicollon des Abbayes: Thierry Nicollon des Abbayes.

                Jacques Louis tire sur la clochette de l’entrée, une jeune servante lui ouvre la porte et le fait entrer. Aussitôt Henriette vient à sa rencontre, longue robe grise et châle blanc:

"-Comment se porte Marguerite? C'est pour bientôt, je crois.

- Ce soir, elle me dit".

Surgit de la cuisine en poussant un cri de guerre "Sus à l'ennemi", une épée de bois à la main, un jeune garçon. Pierre, huit ans.

"-Je voulais savoir, dit Jacques Louis, si vous êtes toujours d'accord pour que Pierre devienne le parrain de notre enfant à venir"

- Mais bien sûr, mon ami, lui répond Jean François qui sort de son bureau et vient à sa rencontre, cela va sans dire"

Puis ils s'enferment tous les deux dans le bureau. Beaucoup de choses à préparer: la réunion du conseil paroissial, la préparation de l'église pour Noël, les réparations en cours...  Ils vont évoquer aussi les magnifiques retables achetés il y a quelques cinquante ans par la paroisse et qu’il faut entretenir...

Le soir même naissait Jacques Louis Joly junior.




Saint Georges de Pontindoux le 24/12/1771

Nota :Fait étrange mais fréquent, Jacques Louis Jolly né le 12/02/1738 a été enregistré à Landeronde avec 2 "l" à son nom: Jolly. A son mariage à St Avaugourd des Landes, le 09/02/1768 il n'en a plus qu'un :Joly. Et son premier fils Jacques Louis aussi, alors que plusieurs de ses autres enfants ont 2 "l".


VICTOIRE MARIE DÉSIRÉE JOLLY                     

1772 - 1837                                                                   

1784 / 1790 La Boucherie Beaulieu sous la Roche                                                                                                                                 

               Juillet 1784. Tristesse. La maison est  triste. Les parents ne sont plus.  Victoire Marie Désirée, 12 ans, pleure chaque jour, avec son frère Charles, 13 ans. Louis, plus âgé est parti. Et il y a les petits: Laurent 11 ans, Marie Véronique 9 ans, Marie Jeanne 9 ans, Pierre Ambroise 7 ans, Marie Félicité 4 ans. Pierre, tout bébé  est chez une nourrice, mais il ne va pas survivre.                   

                Mais Victoire ne se décourage pas. Elle va s'occuper de ses frères et sœurs; 5 enfants de 4 à 11 ans. Tout un programme.   

                Des fermiers- les Texier - sont venus exploiter les terres de son père. Un  tuteur et un curateur ont été nommés pour s'occuper des biens des héritiers Jolly, comme leur cousines, les filles de Pierre Aimé Epaud et Louise Magdelaine.   

                Les années vont passer. Les enfants vont grandir. Mais la belle vie d'autrefois est terminée. Plus question d'études de notaire, ou de chirurgien, ou autre. La fortune de Maitre Callixte Jolly s'envole. Charles va faire un apprentissage de cordonnier.  Véronique et Félicité vont devenir couturières, ou "tailleuses". Au lendemain de la Révolution, vers 1792,  la maison et les terres sont vendues. . La trace des Jolly de Beaulieu s'efface.           

                En 1789 Victoire a 17 ans et s'occupe encore de se frères et sœurs.    

                On va les retrouver dans la commune toute proche: Landeronde. 



JACQUES LOUIS JOLY   fils                                                                                                                                  

      1771 - 1854            

      Le 27/02/1793    Bourchollet Landeronde

                   Maitre Jacques Louis Jolly 55 ans s'est rendu  au bourg de Landeronde dans la salle communale. Il y retrouve  Jean François Nicollon, 83 ans, un vieil homme. Sur la table, une feuille de papier, une liste de noms.

                Cela fait au moins 2 ans que rien ne va plus dans la commune, soit depuis la nouvelle loi de décembre 1789.  La révolution  oppose les patriotes aux fervents défenseurs des traditions. Le conseil municipal a démissionné, laissant la paroisse à l'abandon. Jean François Nicollon, Jacques Louis Jolly et d'autres font partie des démissionnaires. Ils ne sont d'accord sur rien avec le district des Sables d'Olonne: la répartition de l'impôt - c'était Jacques Louis Jolly "sindic" de Landeronde qui s'en occupait - la liste des 9 hommes qui devaient partir défendre la France, la constitution civile du clergé.en 1790,(voir: herodote.net).Jean François Nicollon est certainement le plus clairvoyant: il supporte de moins en moins cette révolution qui remet tout en question. La commune n'existe plus, l'abbé Drouet avait été arrêté et avait été déporté en Espagne, Le curé Voisin, un vieil homme, se cache. L'officier d'état civil est absent, obligeant les gens à inscrire naissances, mariages, décès dans les communes environnantes.

                    Après la constitution civile du clergé en 1790, peu appréciée mais non rejetée, les mots sont devenus plus durs - voire incompréhensibles, et humiliants pour ces hommes instruits qui œuvraient depuis longtemps avec sagesse et intelligence pour le bien de la communauté.

« C'est donc sous le double point de vue et d'une saine politique et d'une bonne fraternité que tous les citoyens amis de la constitution doivent enfin dépouiller les principes d'intolérance religieuse qui contrastent si évidemment avec ceux de la liberté politique qu'ils ont su recouvrer.

              C'est à l'étude de la loi civile qu'elles doivent toujours se rallier, en abjurant de bonne foi le vain projet d'arracher au cœur  de leurs frères des préjugés qui jetteront ces racines d'autant plus profondes qu'on fera de plus grands efforts pour les détruire, C'est aux seules lumières de l'instruction que se propagent lentement mais surement de dissiper les ténèbres de l'esprit. » Délibération du conseil général 1791.

Et puis les mots sont devenus insupportables,

Le premier août 1793, Barère:

                        "...exterminer cette race rebelle....Détruisez la Vendée..."

Puis  quand le département décida:

 "Article premier - Tout signe extérieur d'un culte quelconque est supprimé...

 Article III - Les districts et les municipalités sont également chargés de faire enlever les croix qui existent sur les clochers et les remplacer par des pavillons aux couleurs nationales..." Délibération du 22 frimaire An II.

                      Pourtant ces vendéens étaient loin d'être des fanatiques religieux:

"Les paysans ... pieux par habitude, ils pratiquaient avec plaisir les exercices de la religion et se plaignirent quelquefois de l'impiété de ceux qui avaient l'indiscrétion de raisonner devant eux ; mais je n'en vis jamais d'assez aveugles pour ajouter foi à toutes les bêtises qu'on débite sur la facilité de leur croyance. "  Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière


                Mais, chaque jour, ou presque, ils sont là, aux nouvelles.

                " C'est la liste imposée par le district des Sables. C'est intolérable: les patriotes, les bourgeois, les artisans sont exclus de la liste. Restent les nobles et les  paysans. Ton fils est dessus" dit Jean François Nicollon.

- Qui a fait cette liste? Nous n'avons fourni aucun document.

- Je ne sais pas. Les sbires à Achard et Giraud certainement"

                Rouge de colère, il prend la feuille et la froisse.

                Quelques heures plus tard. 

            Las, Jacques Louis s'installe au bout de la table, il est 19 h. Sa fille aînée, Florence s'active auprès de la cheminée. La soupe est prête. Cela fait  maintenant 8 ans que Marguerite est décédée, 6 de leurs enfants sont morts en bas âge; il reste Florence, Jacques Louis et le jeune Aimé Constant, 8 ans.

                Jacques Louis junior, 22 ans, arrive des champs, maigre, la crinière hirsute, nerveux et l'œil vif. Il s'assied face à son père, jette sur le côté son large chapeau et le nez presque dans l'assiette commence à laper sa soupe.

                " Tu es sur la liste" lui dit son père.

                  A ces mots, le fils se lève, s'empourpre vivement et dit :

" Je sais ce qui me reste à faire...

- Ne fais pas de bêtises, fils"

                Mais le fils est déjà sorti.

           Il est parti rejoindre les gars du pays pour ce que plus tard on appellera "l'échauffourée de Landeronde".

 

1 Mars 1793

               Les cloches  sonnent à Landeronde. Toute la population ou presque accourt. Une délégation du District des Sables se présente à la maison communale et demande à voir le maire Frédéric Mercier de la Noue. D'une manière très agressive, ils exigent qu’ l'on leur remette les registres d'état civil. Il n'est absolument pas question  que l'on utilise ces documents pour  obliger les hommes à partir faire une guerre  qui ne les concerne pas. S'il faut faire la guerre aujourd'hui, c'est contre ce régime. Poiraud et ses compagnons prennent les registres et les déchirent, sous le regard impuissant de la délégation.

               D'autres sont allés voir Jean François Nicollon à la Rochette Milsens. Sa réputation d'opposant farouche à la République était connue dans tout le canton. L'ami de la famille Jolly, leur voisin, avait tout compris. Le vieil homme les reçut. Leur visite ne fit que renforcer leur conviction qu'il fallait continuer.

               C'est ainsi que toute la bande  a rejoint ceux de Beaulieu, de Ste Flaive, de la Mothe etc. Ils ont attaqué les patriotes, les ont désarmé, récupéré leurs armes. Jacques Louis était certainement l'un des plus acharnés (plus tard il deviendra capitaine de cavalerie). Ils s'apprêtaient à marcher sur les Sables. Mais la répression ne se fit pas attendre.

                Les troupes de Biret firent la chasse aux insurgés, tuèrent un grand nombre d'hommes et de femmes, incendièrent des maisons, surtout à Landeronde, foyer de l'insurrection. Jean François Nicollon  avec  ses  3 filles et 30 insurgés, dont une dizaine de Landeronde sont arrêtés et envoyés aux Sables. Jacques Louis, fin rusé, a disparu, comme beaucoup d'autres.

                Les jours suivants, ils vont rejoindre le vieux Joly de la Chapelle Hermier, à la Mothe Achard. Ils sont 6000 paysans et ils vont attaquer les Sables d'Olonne.

Le vieux Joly

                                                                                                     Pour en savoir plus sur ces événements, qui marquent les tout premiers affrontements des guerres de Vendée voir :échauffourée de Landeronde 

Et pour les passionnés, le livre: O VA: PAS S´PASSER D´MÊME ! CHRONIQUE DES GUERRES DE VENDÉE AVEC LES GARS DU GÉNÉRAL JOLY THIBAUDEAU (Pierre)

 Les gars du général Joly



1793 - 1800

                Commence alors pour Jacques Louis une aventure de 3 ans. Les Sables d'Olonne par 2 reprises, Challans, St Gervais, Palluau, Machecoul, Luçon, Torfou, Montaigu, St Fulgent, Legé.... Il gagne ses galons au sein du 3 ème corps d'armée catholique et royale de Charette, puis de Suzannet : de simple soldat, il deviendra lieutenant de cavalerie, puis capitaine de cavalerie. Il n'a que 23 ans.

                      Le 23 mars, ils étaient 5000 avec 300 fusils devant les Sables d'Olonne, derrière le vieux Jean Baptiste Joly. Le jeune Jacques Louis Joly avait récupérer une fourche et une faux de chez son père et un cheval. Le soir même, il rentrait à Landeronde, après une piteuse bataille.

                        Le 29, ils sont de nouveau devant les Sables d'Olonne, avec en plus, les gars de la Roche sur Yon. Ils sont mieux préparés. Mais, le soir, c'est la débandade.

                       Puis, au mois d'avril, c'est la rencontre avec les gars de Charette. De nombreux accrochages, des défaites, et enfin le 10 juin, une victoire éclatante à Machecoul. La cavalerie de Joly et de Charette joua un rôle déterminant. Jacques Louis était là.



   A Poupeton, ou Pas-Opton ou Pas-aux-Petons ou Paoupeton c'est selon, un gué sur la Vie au Fenouiller, sur la route de St Maixent proche de Saint Gilles sur Vie était un endroit stratégique pour les Républicains. La troupe de Joly cherche à s'en emparer à plusieurs reprises. Sans succès. C'est là, peut-être le 11 juin ou le 2 août que Jacques Louis Joly et son compatriote de Landeronde Jean Nicolleau sont blessés. Jean: "Coup de feu à l'avant bras gauche, estropié, plusieurs coups de sabre à la tête et de baïonnettes". Jacques Louis :"Coup de feu à la jambe droite, estropié". Mais il va continuer les combats, sur son cheval.         

                 Pierre-Suzanne Lucas de La Championnière fait un portrait singulier de l'armée de cavalerie :

« Notre cavalerie présentait un spectacle encore plus ridicule ; des hommes de toute taille et de tout âge, montés sur des chevaux souvent disproportionnés, avaient pour selles des bâts, pour étriers des cordes de foins et au lieu de bottes des sabots. Le mousqueton était une fourche ou un fusil fort long attaché derrière le dos, et le sabre un couteau de sabotier ou un briquet pris sur l'ennemi. »

                         Fin juin 1793, Jacques Louis rentre chez lui, à Landeronde. Il y a du travail à la ferme.

                Le 14 août, il est à Luçon, (Voir :bataille de Luçon) sous les ordres de Talmond qui commande la cavalerie. Toute le monde est là : la grande armée catholique et royale, l'armée de Charette et Joly. C'est encore la débandade: Jacques Louis rentre à la maison. Mais la situation dans la région devient complètement dramatique avec l'arrivée de Mieszkowski. Joly de réfugie avec sa troupe à Legé, près de Charette.

                Le 19 septembre, Jacques Louis est sous les ordres de Savin et Joly à la grande bataille de Torfou.(Voir :la bataille de Torfou). Et c"est une grande victoire.

                Fin décembre, tout le monde est rentré chez soi.

                1794,1795, la guerre continue.Jacques Louis est de tous les combats.

                Son père, était usé par tous ces événements, la mort de Marguerite et de ses enfants. Il s'éteint en mai 1795. Il était âgé de 57 ans.

                Au mois de décembre 1795, l'armée de Charette est en débandade. Tout est fini. Joly a été tué. Tête basse, le moral à zéro, Jacques Louis, comme tous les gars de Landeronde et des environs retourne dans sa ferme, après avoir erré pendant des semaines dans les bois. IL est à Bourchollet. Il exploite une métairie des Nicollons: 16 hectares, 21 vaches.

                Les sœurs Jolly, Victoire, Véronique, Félicité du bourg de Landeronde, les filles du notaire de Beaulieu Louis Callixte, sieur de la Boucherie, il les connaissait, bien sûr. Des couturières. Victoire avait 25 ans et lui 26. Il va l'épouser en janvier 1797.

                 En octobre 1799, Jacques Louis repart sous les ordres de son parrain et voisin Pierre Nicollon des Abbayes et du généralissime Suzannet: Challans, les Lucs, Montaigu et  Challans en janvier 1800. Puis défaite à Sallertaine. La guerre est terminée.

               Pierre Nicollon n’a pas participé aux combats de la première guerre en Vendée. Il s'était engagé avec son frère dans la Gendarmerie. Tous les deux participèrent  au rassemblement de la  Proutière, furent arrêtés du coté de Noirmoutier, interrogés puis amnistiés. Il émigra et s'engagea dans l'armée de Condé. C'est fin 1796 qu'il revint en Vendée.

           « Dans la nuit du 20 au 2I Octobre I799, 2000 soldats avec le comte Godet de Chatillon pénètrent par surprise au cœur de Nantes. L'aubergiste Lecouvreur, ancien divisionnaire de Charette secondé par Voyneau du Bourg sous la Roche se porte sur le marais avec Pierre Nicollon des Abbayes natif de Landeronde qui se trouve à la tête de 400 fantassins et de 50 cavaliers. » (voir : thierry.des-abbayes). 

1815

                Dès mars de l'année 1815, Pierre Nicollon, son frère et Hyacinthe de Rorthais, sous les ordres de Louis de La Rochejacquelein, battent la campagne pour recruter les anciens soldats de Jean Baptiste Joly  et de Charette. Il s firent des réunions avec les maires de Beaulieu, Landeronde et les environs. Les paysans n'étaient pas convaincus. Il a fallu beaucoup d'énergie pour les persuader: on allait rejoindre l'armée du marais, les troupes royalistes de Bretagne, récupérer des armes anglaises sur la cote vendéenne, prendre la Roche sur Yon aux Bonapartistes. A Landeronde et Ste Flaive des loups, ils furent plus de 100. Jacques Louis Joly était certainement parmi eux. Mais à 44 ans...

                Le 19 mai 1815, toutes les forces vendéennes se réunirent à Palluau. Louis de la Rochejaqulein qui venait d'être élu généralissime donna alors l'ordre de marcher sur Napoleonville (La Roche sur Yon). Au soir du 20 mai les Vendéens campaient dans Aizenay et ses environs. Ce sont les durs combats de l'Aiguillon, St Gilles Croix de vie Challans. (voir : wikipedia Guerre_de_Vendée1815 )

                Le I8 juin 1815 - C'est Waterloo ! la fin des Cent Jours ! Louis XVIII rentre à Paris. (voir cette période assez méconnue dans la région :journals.openedition )

                Pour Pierre Nicollon, la Révolution a perdu, le roi a retrouvé son trône. On dépose les armes: les armées bonapartistes se rendent à l'armée catholique et royale, sans affrontement. Pierre Nicollon  va occuper tout naturellement la caserne Travot à la Roche sur Yon.    

                Ses soldats, pas souvent très disciplinés, il faut le dire, ne comprenaient pas bien. On vient les chercher dans leur ferme, pour chasser les bonapartistes. Mais ils sont à la Roche, les bonapartistes, ils ont construit la ville, ils sont fonctionnaires venus de Paris ou d'ailleurs. On est venu les chercher pour attaquer Napoléonville, comme d'autres ont pris Bressuire et Cholet. Alors non,  la guerre n'est pas terminée.

                Jacques Louis Joly et un grand nombre des soldats de Nicollon, peut-être 200 ou 300, erraient dans la campagne vendéenne, désœuvrés, livrés à eux mêmes. On leur avait dit" la guerre est finie, rentrez chez vous". Les chefs, les  gradés étaient partis. On leur avait dit qu'ils allaient prendre La Roche.  "C'est nous qui avons pris les armes en 1793. Pas les chefs. C'est  nous qui sommes allés les chercher.....Alors, allons prendre la Roche et renvoyer les bonapartistes».  

Abbé Deniau

          Ils  s'étaient levés tôt, ce matin du 21 juillet 1815. Ils avaient marché sur les routes et les chemins, la troupe grossissant à chaque carrefour. Ils n'étaient pas tout jeunes: 40, 50 ans. Beaucoup avaient été  blessés. Jacques Louis marchait difficilement, en traînant la jambe. Alors ils s'arrêtaient souvent dans les cabarets et buvaient une bonne rasade de vin rouge pour se donner du courage.  

                Ils arrivèrent  à Napoléonville, avec les fusils qu'ils n'avaient pas voulu rendre, criant et chahutant, bien décidés à mettre le feu à ces maisons bourgeoises occupées par les bonapartistes. Jacques Louis Joly criait le plus fort. C'est lui qui menait la bande, lui le capitaine. Son enthousiasme tomba d'un coup.

                Les annales de la Roche sur Yon racontent l'événement, déformant quelque peu la réalité avec une certaine condescendance,  qui laisse un goût amer:

                "La ville de La Roche-sur-Yon, le 21 juillet 1815, fut menacée de pillage par les Vendéens, par des anciennes bandes d'insurgés que Pierre Nicollon des Abbayes avait commandées et qui envahirent le chef lieu du département. Beaucoup de ces insurgés qui n'avaient pas le désintéressement ni la générosité des beaux géants du temps de la grande guerre ne songeaient à célébrer le retour de la royauté qu'en malmenant les anciens fonctionnaires ou partisans du régime impérial et ils menacèrent même de mettre à feu et à sang tout dans la ville. Il y avait surtout un certain Joly qui se faisait remarquer par sa violence et jurait que lui et ses compagnons allaient livrer aux flammes les maisons de tous les bonapartistes. À ce moment accourt le commandant pour le Roi des divisions des Sables, le général Nicollon des Abbayes. Celui-ci arrête la cohue menaçante, s'adresse à Joly qui se trouvait être son fermier et son filleul ayant la réputation méritée d'un parfait ivrogne. Il lui parle d'abord avec bonté, avec fermeté ensuite, rien n'y fait. Joly alla jusqu'à menacer celui qui était son maître, son général et son parrain et qui s'opposait de toutes ses forces aux violences ainsi préméditées. À bout d'arguments, le général des Abbayes s'avance alors à la rencontre de Joly et regardant celui-ci bien en face lui dit après s'être découvert la poitrine "Tire donc sur ton parrain, si tu l'oses". Joly fut maté, lui et ses compagnons se retirèrent en maugréant, Pierre Nicollon des Abbayes reprit son autorité, et la ville fut sauvée." Journal du département de la Vendée. http://thierry.des-abbayes.pagesperso-orange.fr/

                Sauveur de la Roche sur Yon ou un général qui a quelques soucis de discipline avec les troupes qu’il commandait il y a tout juste 1 mois. La question est ouverte. 

                Car les états de service du capitaine Joly sont excellents : en 1815, Il toucha 400 francs au titre de pension comme mutilé de guerre où on peut lire sur le relevé d’attribution : "coup de feu à la jambe droite. Estropié. A fait les actions les plus éclatantes dans toute la guerre de la Vendée. A souvent été cause qu'on a remporté différentes victoires."  Il toucha en plus 200 francs (2ème catégorie) comme pension de retraite de militaire. 




Vers 1850 Bourgchollet

                Jacques Louis  80 ans, s’est assis sur le banc de pierre, pour profiter du soleil. Victor, 13 ans, Pierre, 9 ans, et Ferdinand 6 ans  s’approchent de « pépé » : Tu nous racontes la guerre des Vendéens ». Jacques ne se fait pas prier et entreprend un récit mille fois répété où le héros, le plus fort, c’est lui Jacques Joly. Alors les yeux des enfants brillent. « Notre pépé, ce héros ».












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